samedi 1 décembre 2012

Lettre à Lexy

Chère Lexy,

ma lettre sera brève.
J'ai continué inlassablement ma lecture, qui se poursuit par trois chapitres respectivement nommés: "la femme désincarnée", "l'homme qui tombait de son lit" et "mains" dont les liens me troublent un peu.

Le premier chapitre raconte l'histoire d'une femme ayant perdu sa "proprioception", un nom pour le moins bizarre qui évoque simplement la capacité naturelle que nous avons à nous tenir debout, sans perte d'équilibre. De manière inconsciente (et consciente en même temps) nous sommes en effet capable de demeurer naturellement debout, sans avoir à se concentrer sur le fait d'être debout. La découverte du terme en lui-même m'a laissée songeuse. Il est vrai que cette capacité me semble tellement naturelle et évidente que je n'ai jamais cherché à savoir d'où elle pouvait bien venir, pourquoi et comment notre corps arrivait-il automatiquement à se positionner selon notre point d'équilibre, de manière à faire que nous tenions debout sans fournir le moindre effort. Dans le livre, cette capacité, cette proprioception donc, est un peu vue comme le sixième sens de l'être humain, résultant à la fois de mécanismes conscients et inconscients, que la médecine et la psychologie réunies ne peuvent complètement expliquer.
C'est d'ailleurs ce manque d'explication, cette sorte de mystère de la nature qui est au centre de ce chapitre qui conte donc l'histoire d'une femme qui, du jour au lendemain, se trouve totalement incapable de se tenir debout, assise, etc. En bref, son corps entier a perdu toute tonicité, et fait d'elle une sorte de poupée de chiffon. Ses mains ne sont plus capables de se mouvoir, et elle serait par exemple bien incapable d'écrire la lettre que je suis en train d'écrire.
À force d'observation, Olivier Sacks se rend compte que la voix même de la patiente a perdu son timbre naturel, de même que ses expressions, sa manière d'être semble totalement différente. C'est elle même qui se désigne comme "une femme désincarnée", une poupée de chiffon atone et inerte, allongée sur un lit.
Ce n'est qu'à force d'exercices, d'entraînements et d'énormément de temps que cette patiente, aux prix d'efforts incalculables parvient finalement à retrouver un semblant de mobilité. Pour cela, elle doit regarder ce qu'elle fait pendant qu'elle le fait, de manière à compenser son déficit par la vue. En voyant sa main bouger, elle arrive à la diriger comme elle le souhaite, mais dès qu'elle tourne la tête, son cerveau semble totalement oublier la présence même de sa main, qui retombe alors mollement sur le lit. Ce n'est qu'après beaucoup de temps qu'une gestuelle finit par s'installer. Oh pas une gestuelle naturelle non, mais plutôt un mode de fonctionnement basé sur le souvenir des gestes qu'elle a perdu.
La patiente se met alors à jouer une sorte de danse, ses mouvements étant artificiels, calculés, articulés selon des souvenirs empreint d'une certaine théâtralité. Ce n'est que comme ça, avec cette espèce d'artifice dans les mouvements, que la patiente finit par retrouver une vie normale.
J'ai été une fois de plus assez touchée par ce récit qui fait état d'une personne, d'une conscience presque prisonnière de son propre corps, de même que j'ai été touchée en lisant un passage où il est expliqué que cette patiente est beaucoup moins comprise par "les gens", qu'une personne ayant un déficit clairement visible, comme par exemple une personne aveugle. Le monde extérieur est alors incapable d'identifier au premier coup d'oeil ce dont elle souffre, et les gens se mettent donc à la juger sévèrement, la prenant parfois pour une malade mentale.
Cependant, et malgré ce détail amer, j'ai trouvé ce récit intéréssant du point de vue de la faculté qu'a le corps et l'esprit à compenser une perte.
J'ai le souvenir par exemple de mes cours de biologie, en terminale, où il était expliqué que certaines aires du cerveau sont spécialisées pour un sens en particulier, et que lorsque ce sens est absent, par exemple pour un aveugle, ce sont les autres sens qui viennent compenser le vide. Ainsi certains aveugles sont capables de se déplacer grâce à des claquements de langue, reproduisant ainsi le système de sonar que l'on retrouve chez certains mammifères et que nous, voyants, sommes incapables (?) de reproduire.

Cette idée de compensation est interrompue avec le chapitre "l'homme qui tombait de son lit" qui fait état d'un homme qui ne reconnaît plus sa jambe. Il se réveille alors dans son lit, prenant sa jambe pour la jambe d'un mort. Complètement apeuré, écoeuré, il décide donc tout naturellement d'ejecter ce morceau de corps de son lit, mais sans comprendre pourquoi, finit inlassablement par poursuivre la jambe coupée dans sa chute. A aucun moment l'homme ne comprend que c'est sa propre jambe qu'il pousse hors du lit, et que par un procédé physique simple, quand il pousse sa jambe dehors, le reste du corps ne peut que suivre...
Cette perte de conscience d'un de ses membres est dûe à une lésion cérébrale bien précise qu'il n'est pas utile de t'expliquer...et que d'ailleurs l'auteur lui-même n'a pas vraiment pris le temps d'expliquer, puisque ce chapitre est un des plus courts de tout le livre !

Ce n'est qu'en lisant "les mains" que la boucle est bouclée. Dans ce volet est racontée l'histoire d'une femme aveugle de naissance, âgée de 60ans, et qui compare ses mains à des bout de pâte à tarte. Elle est capable de bouger ses mains comme tout le monde, mais demeure dans l'incapacité d'identifier un objet par la force du toucher. Toute sa vie, cette femme a été couvée de manière à ne jamais se servir de ses mains, jusqu'au jour où son cerveau fut atteint d'un trouble bien spécifique, l'amenant à consulter le docteur Sacks. Celui-ci comprend alors que sa patiente a en quelque sorte "oublié" de quelle manière on pouvait identifier les choses grâce au toucher. Elle était non seulement aveugle, mais aussi "aveugle au toucher" si je puis dire.
Sacks se demande alors comment rétablir cette fonction cérébrale que la patiente ne s'est jamais réellement donné la peine d'apprendre, et décide finalement de provoquer une sorte de déclic. Pour se faire, il demande à l'infirmière chargée des repas d'écarter volontairement les plateaux de la patiente, pour que celle-ci, poussée par la fin, finisse par prendre l'initiative de se lever pour aller chercher à manger. Bienentendu, il ne s'agit pas de laisser la pauvre femme mourir de faim, mais plutôt de la pousser à agir pour provoquer ce fameux déclic...et ça marche !
C'est finalement agacée et poussée par la fin que les mains de la patiente se mettent pour la première fois à chercher à manger sur le plateau, pour finalement identifier un bagel.
C'est cette découverte de la part de la patiente qui fut l'origine du déclic. Le cerveau ayant immédiatement analysé le processus, il fut alors capable de le reproduire, et de le perfectionner.
Voilà comment, grâce à un bagel, une femme reprit conscience du fait qu'elle pouvait se servir de ses mains pour identifier les choses, les comprendre et les apprécier.
C'est à la suite de ces expériences que la patiente développa de grandes qualité artistiques en matière de sculpture. Particulièrement avide de découvrir le monde et ses mystères, elle a rapidement eu l'envie de reproduire ce qu'elle touchait en utilisant de la glaise. Ainsi devint-elle une artiste connue, ainsi son cerveau, à 60ans, apprit à identifier les choses au toucher, capacité que nous sommes tous appelés à intégrer dès notre plus tendre enfance.

De ces trois chapitre je retiens ces points:
-premièrement, nous sous-estimons beaucoup trop la nature évidente de notre proprioception, et de la même manière, nous ne nous reposons que trop sur notre capacité naturelle à avoir conscience de nos propres membres, ce qui me pousse à imaginer, penser, imager, toutes ces personnes qui, d'une manière ou d'une autre se retrouvent plus ou moins prisonnières de leur propre corps, quand celui-ci ne devient pas carrément un membre inconnu, terrifiant, poussant ainsi la chose jusqu'à l'aliénation.
-ensuite, ces chapitres ont confirmé que le cerveau était bel et bien capable de compenser une perte, d'une manière ou d'une autre, que cela soit en faisant appel à la mémoire, ou en étant sollicité par des exercices, provoquant un déclic qu'il sera à même d'assimiler et de reproduire avec le temps.
-enfin et pour finir, non seulement le ceveau est capable de compenser les pertes, mais il est aussi capable d'apprendre, et cela à tous les âges de la vie.

Le prochain chapitre est intitulé "Fantômes", peut-être celui-ci continuera de m'en apprendre sur la faculté qu'a le cerveau de se souvenir, d'apprendre et en même temps de perdre une notion bien particulière ?

À bientôt donc.

M.

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