jeudi 22 novembre 2012

Lettre à Lexy

Chère Lexy,


Les mots me manquent pour exprimer la frustration que je ressens en écrivant ces quelques lignes. J'apprends, au fur et à mesure de mes recherches que les portes des hôpitaux, des cliniques, des résidences médicalisées, des maisons de retraite ne s'ouvrent que pour mieux se refermer.

Quelle idée j'ai eu de vouloir percer les tabous du milieu médical en voulant m'approcher des patients ?
Parfois je me dis qu'il serait peut-être plus simple d'en devenir un, de patient. C'est une affaire que je commence à envisager sérieusement, mais je t'en parlerai plus tard.

Aussi, je me suis mise à lire un nouveau livre.
L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau, promet d'être divertissant et instructif, mais quelque peu destabilisant. Je prends chaque jour, un peu plus conscience de la complexité du cerveau. Un organe si complexe que les médecins ne peuvent l'appréhender d'un seul coup et ont décidé, voilà des années, de le séparer en deux. Le cerveau droit serait selon eux le siège de la créativité, il gère les images, synthétise, globalise. C'est grâce à lui que nous utilisons volontiers des métaphores par exemple, mais c'est dans le cerveau gauche que se trouve pourtant la zone du langage. Le cerveau droit est le lieu du palpable, du concret et de l'action, mais quoi de plus "flou" qu'une métaphore ?

Le cerveau gauche quant à lui est le cerveau qui a longtemps intéressé les spécialistes (mais je n'ai pas encore exactement compris pourquoi, je t'en parlerai quand j'en saurai plus). À ce fameux cerveau est associé la logique, le langage, le décryptage de codes, en bref, il est le cerveau rationnel, théorique, là où son voisin est plus axé sur la créativité.

Dans L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau, il y a une étude de cas qui porte le même nom. Il est question d'un patient qui, ayant une atteinte sévère de son cerveau droit, se met à ne plus reconnaître les visages, à ne plus reconnaître les objets comme nous le ferions habituellement. Il lui arrive de parler aux poignées de porte et de les prendre pour des enfants, il n'arrive plus à associer un gant à la forme de sa main, mais il est capable d'en faire la description complète. Et puis il chante. Il chante tous les jours, c'est un professeur de musique. Il ne reconnaît ses élèves que lorsqu'ils bougent, parce qu'il finit par ne les identifier que par le biais de leur "musique", c'est à dire leur gestuelle. De la même manière, il ne reconnaît un visage qu'en repérant un point bien particulier de celui-ci. Il identifie ainsi les personnes grâce à des grains de beauté caractéristiques, des dents trop longues, un nez aquilin, une voix bien particulière...L'auteur explique que la vie de ce monsieur est comme une musique, et que cette dernière est, en quelque sorte, devenue le centre de sa vie. Incapable de reconnaître un gant, il y voit une forme repliée sur elle-même, contenant cinq excroissances qui pourraient éventuellement servir à y glisser des pièces de monnaie de différentes tailles...Mais en parallèle de ça, il est capable d'identifier en quelques secondes des polygones complexes, il récite des passages de livres avec une précision extrême, mais quand on lui demande de remettre sa chaussure qui est au sol, il regarde son pied, et il pense que c'est ça, sa chaussure. Et puis il fait de la peinture. Au fil des années, ses tableaux figuratifs sont devenus abtraits, éléments révélateurs pour le docteur.

J'ai donc beaucoup du mal à comprendre. Cet homme, visiblement atteint au niveau de son cerveau droit ne devrait alors par exemple pas pouvoir faire de métaphore (et à mon sens, la musique a quelque chose de "métaphorique"), ni être capable d'analyser une image, pourtant il est décrit dans le livre qu'il en est capable, même si ce n'est pas de la même manière que nous. Un passage m'a frappée, celui où il décrit une rose qu'il tient dans les mains comme une forme rouge, enroulée sur elle-même, soutenue par une sorte de turgescence verte. En fait il a totalement conscience des couleurs, du monde de l'abstrait, mais il est totalement incapable de déduire simplement "ceci est une rose" et de reconnaître l'objet en tant que tel ou même un visage.

C'est très étrange de voir comme la lésion d'une des parties du cerveau peut radicalement changer le comportement d'un être humain, mais le constat que j'ai surtout fait en lisant ce premier chapitre, c'est qu'à mes yeux il n'y a pas un cerveau "droit" et un cerveau "gauche" mais bel et bien un seul cerveau, sans aucun doute muni de différentes zones, mais qui sont cependant totalement complèmentaires, ce qui fait qu'au final, parfois, en lisant les symptômes de ce patient, j'ai du mal à imaginer pourquoi, malgré ses lésions du cerveau droit, cet homme demeure capable de continuer à manifester certaines fonctions de celui-ci.
A ce questionnement, je ne vois que deux réponses possibles:
-la lésion de cet homme était dans une zone très particulière du cerveau droit, ce qui lui a donc permis de conserver une partie des facultés de ce dernier.
-le cerveau gauche est capable de "prendre le relais" et ainsi tenter de compenser, d'une manière ou d'une autre, les pertes qu'a connu le cerveau droit.

Cette dernière hypothèse me semble passionante, parce qu'elle ouvre de larges pistes de reflexions. Dans quelle mesure le cerveau est-il capable de compenser les dommages endurés ? Est-ce pour cette raison que nous ne l'utilisons qu'à un pourcentage infime ? Et d'ailleurs, quel est le pourcentage de notre cerveau qui demeure "inutilisé" ? Est-ce qu'il sert de "reserve", "au cas où" il faille compenser les pertes, ou bien est-il le siège de fonctions encore inconnues, ou encore de fonctions déjà établies mais en sommeil ? Est-il possible par exemple qu'il existe disons...une aire du langage principale (celle de Broca) et une aire du langage "remplaçante", prête à prendre le relais et à remplacer la première si celle-ci venait à flancher ? Le cerveau contient-il en définitive des reserves encore vierges, un peu comme des cellules souches qui ne demandent qu'à se différencier en fonction des besoins du moment, ou contient-il au contraire des aires encore inexploitées pour des raisons qui m'échappent, mais qui sont différenciées, distinctes et qui ont un rôle précis ?

Comme tu le vois, je n'ai lu qu'un chapitre de ce fichu livre, et me voilà déjà perdue. Je vais cependant continuer, et je te tiendrai au courant des découvertes, déductions, réfléxions que j'ai pu me faire.

J'espère que tu te portes bien.
À bientôt.

M.

2 commentaires:

  1. C'est vraiment très troublant, c'est vrai! Je ne pense pas, moi non plus, que le cerveau soit un organe précisément définit! Mais cette séparation du cerveau est mise en place pour et par les médecins, pour tenter de comprendre son fonctionnement -aussi complexe soit-il- et je pense que c'est notre besoin de tout comprendre qui est la cause de ces erreurs de déduction. Les humains ont tendance à vouloir tout ranger dans des boites bien définies, quitte à faire les erreurs! Mais je ne pense pas que ce soit une réelle solution... x)

    Ps: l'histoire de cet homme m'a intrigué, je la trouve poétique!

    Caro750

    RépondreSupprimer
  2. C'est très intéressant comme problématique, et le livre me rappelle un sujet qu'on avait fait en SVT, de même, sur le cerveau et ses fonctions. C'est très très intéressant, d'autant plus que c'est le moteur de tout, au final. Alors ta lettre, sur cette partie, lance un questionnement assez important au final. Vu que, peut-être, le cerveau fait de nous ce que nous sommes, dans nos facultés de gestuelle comme de réflexion. Et au final, la poésie de la situation de cet homme, qui repère les autres à leur "musique", ça laisse à réfléchir. Sans une partie de nos capacités, comment on ferait...

    Ensuite, ce que tu dis sur l’hôpital me semble vrai. C'est difficile de briser un peu ce qui est sensé être dans notre société un fléau. Si on est à l’hôpital, c'est pour se faire guérir, ce qui implique qu'on est malade. Malade, donc anormal, dans un état "pas montrable". Malade, donc dans une anomalie de notre système.

    C'est difficile d'exposer avec spontanéité le fait qu'on a quelque chose qui va pas, de nos jours. Je suppose que l'ambiance gênante du monde hospitalier doit être en partie à cause de ça. Du fait que les patients, ce sont ceux qui attendent des soins, qui ont plus ou moins accepté le fait qu'ils en aient besoin

    RépondreSupprimer